- 27 mars 2024 -


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Avril 2011, une journée au Spitzberg

Keplerbreen


Véronique, Marc, Thierry et moi sommes allés passer trois semaines au Spitzberg. J’avais fixé comme objectif d’aller jusqu’au Newtontoppen. Nous nous sommes donc retrouvés en autonomie totale sur cette durée, à skier en tirant notre pulka et à bivouaquer sur les glaciers. Trois semaines sont nominalement suffisantes pour atteindre cet objectif à condition que la météo ne nous joue pas de tours. Bien que de très forts vents nous ont immobilisés plusieurs journées, nous avons réussi à faire cette boucle. J’ai pris des bribes d’une journée de ci, une journée de là. Je vous la raconte.

On se lève

Je me réveille, il fait jour. Ce n’est pas une information, il fait jour 24 heures sur 24 au mois d’avril au Spitzberg. Par ailleurs, le tissu de la tente que j’ai réalisée étant jaune paille, quel que soit le temps, on a l’impression qu’il fait beau. Alors, quelle heure est-il ? Je relève le haut de mon gant, il est cinq heures et demi. Hum, super, je suis bien dans mon duvet et il me reste encore quelques temps avant qu’on se lève.

Par rafales, le vent fait clapoter le tissu de la tente. Va-t-il se calmer, se renforcer ? Finalement, nous serons accompagnés toute la journée par une bonne petite brise de trois-quarts face.

Il est où Thierry ? Il est soit sous son tarp, soit dans son trou à neige, soit dans son igloo. Cette nuit, c’était le tarp.

Bivouac

Il est l’heure de se lever. Dehors, il fait environ -15 °C. Véronique, courageuse, sort en premier de son sac de couchage. Ouais, fastoche, elle est emmitouflée dans sa super combinaison. Marc et moi l’imitons. Chacun de nous range son duvet après avoir vérifié qu’il n’est pas gavé d’humidité. C’était notre (ma) crainte. Trois semaines consécutives dans un sac de couchage en duvet d’oie sans qu’il ne se dégrade par l’accumulation d’humidité due à la perspiration ou la respiration. Bien qu’il soit difficile de respirer de l’air froid la nuit, nous nous sommes efforcés de garder la tête hors du sac en respirant au travers d’une cagoule ou d’une petite serviette. Cela s’est avéré efficace. Quand à la perspiration, ou bien elle est restée au niveau de nos sous-vêtements ou bien elle a été négligeable, mais elle ne nous a pas posé de problème.

On se prépare

Implicitement, au bout de trois ou quatre jours, nous nous sommes organisés dans la répartition des tâches quotidiennes : Véronique et Marc préparant le petit déjeuner et moi m’occupant de faire de l’eau, c’est-à-dire allumer le réchaud à essence et faire fondre la neige, ramassée en blocs puis découpée et mise dans la bouilloire.

Vé et Marc Cuisine dans la tente

A ce propos, nous avions prévu, comme il se doit, un quart de litre d’essence par personne et par jour. Au final, notre consommation a tourné autour de 180 ml, Deux raisons majeures à cela : il n’a jamais fait bien froid et notre mode d’alimentation était tel que nous n’avons jamais eu à porter l’eau à ébullition, nous contentant généralement d’une eau à 80 ou 85 °C.

Bon, ben c’est pas tout, après ce «  café-lait-wasa-beurre-galettes-amandes-barres-céréales-...  » il faut penser à lever le camp, Objectif : plus loin ; où ? On verra bien. Chacun passe de son équipement de bivouac à l’équipement de randonnée et range tant bien que mal toutes ses affaires et le matériel commun afin de charger les pulkas. Ma part de matériel commun, c’est le matériel de cuisine, la tente et ... le fusil ! Marc a le pistolet d’alarme, le rab de cartouches (fusil et alarme), et beaucoup de bouffe.

Entre temps, chacun vaque à ses petits ou gros besoins, A ce sujet, quelques mots. Se mettre les fesses et le sexe à l’air n’est pas vraiment un problème car sur la durée de l’opération, le froid n’agresse pas vraiment ces parties. Par contre, ce sont les doigts, forcément à nu, qui souffrent le plus. Thierry m’a fait découvrir une technique de nettoyage que je n’avais jamais mise en œuvre : se frotter les fesses avec de la neige compactée : c’est rapide, efficace et comme précédemment dit, le froid de cette neige n’agresse que peu les parties concernées et on a le cul propre ! Fini le PQ qui vole au vent ... Merci Thierry,

Quand on revient de cette expédition, on a les doigts gelés et il faut bien cinq minutes pour se les réchauffer. Ici, à bannir : les bretelles de pantalon.

On a fini de plier nos affaires. Véronique et Marc déneigent les pulkas (si le vent a soufflé) et les bavettes de la tente, Moi, je brosse l’intérieur pour faire tomber tout le givre qui s’est accumulé par la condensation de notre respiration et de l’eau de cuisson. S’en suivent démontage, secouage et pliage de la tente (rigolo par grand vent). On boucle les pulkas et on y va. Tout ce petit cinéma nous quand même a pris presque trois heures.

On y va

Hier soir, j’ai jeté un coup d’œil aux cartes et, globalement, il faut tirer au Nord-Nord-Ouest. Il va falloir marcher à la boussole car la visibilité, bien que de plusieurs centaines de mètres, ne nous permet de voir ni le soleil ni les reliefs, Chic, encore une journée d’engueulade en vue car celui qui est en tête n’a pas les yeux rivés sur la boussole et forcément, il dévie à droite ou à gauche. Ceux de derrière crient au scandale ; celui qui est devant dit qu’il s’en fout car la supposée direction est un glacier de plusieurs kilomètres de large. De temps à autre on aperçoit le soleil filtrer au travers des nuages, ça devrait nous permettre de nous recaler un peu. Oui, mais au Spitzberg, quand il est midi, où est le soleil compte tenu qu’on a la même heure qu’en France mais qu’on est 17° plus à l’est ? Et ça discute, et ça discute, Un autre moyen de garder le cap est de se repérer aux sastrugis, ces vagues que forme le vent dans la neige. Sur une grande surface, elles ont toutes la même direction : celle du dernier vent dominant.

Sastrugis Carte

Selon la carte, il y a un petit col à passer, ça devrait monter un peu. Mais voilà que ça se met à descendre. On s’est planté ? Un coup de GPS nous informe que non. Ben quoi alors ? Les cartes n’ont que des contours à 50 m et une petite dépression de terrain, c’est vite fait. Thierry tire tout droit, Marc préfère contourner. L’un dans l’autre ça se vaut.

La brise lève parfois de la neige qui vient nous fouetter le visage. A moins que le vent ne soit très violent, je n’aime pas porter mon masque à vent, alors je rabats du mieux que je peux ma chapka sur ma joue gauche et sur les fortes rafales, je baisse la tête.

C’est pas tout ça, mais l’heure tourne. Quelle heure est-il, combien qu’on a fait de kilomètres, quand est-ce qu’on mange ? Réponses : 14 h, pas beaucoup, on tire jusqu’à quinze heures ? D’accord, on y va … On se pose là ? OK, on s’assoit sur les pulkas et on tourne le dos au vent qui, s’il n’est pas violent, nous refroidit rapidement lorsqu’on est à l’arrêt, C’est Véronique qui a notre repas du midi dans sa pulka. Aujourd’hui, c’est « jambon-wasa-figues séches-noix de cajou-chocolat-barres de céréales ». Une grande tasse de thé ou café chaud pour finir, c’est bon et ça réchauffe les mains. Comme d’habitude, je ne bois pas assez. De temps en temps, je pique la neige avec mon bâton et je m’en ramène un morceau que je mange ; sorbet nature, ça rafraîchit.

Cet après-midi, nous allons monter un long glacier, la pente n’est pas bien forte, mais faut quand même tirer. De temps à autre, l’un ou l’autre s’arrête pour souffler un peu, les autres l’attendent. Il y a trois raisons pour que l’on reste groupé : la visibilité qui n’est pas bonne et très variable, la possibilité de rencontrer un ours ; c’est un peu l’Arlésienne celui-là ! Et puis ... ça permet de souffler sans le dire.

Pendant de longs moments, on avance sans se poser de question. Parfois la marche est heurtée, les accidents de terrain se rappellent à nous via les secousses sur le harnais. A d’autres moments la marche est coulée ; je ne sais pas pourquoi, le terrain ne semble ni pire ni mieux que précédemment, on est dans le rythme et c’est agréable de sentir chaque pas, chaque glisse.

Traction des pulkas

Aujourd’hui, la couche nuageuse paraît mince, on sent que le soleil n’est pas bien loin et, en milieu d’après-midi le ciel se dégage et c’est alors la splendeur des montagnes qui bordent le glacier, les rochers à vif, les dômes enneigés, les fractures de glaces suspendues, les sculptures du vent dans la neige. Quand le vent tombe, ce spectacle est accompagné d’un silence absolu, on l’écoute, on le goûte.

Glacier

Bientôt, cette parenthèse se referme, la visibilité retombe mais on voit quand même les reliefs avoisinants et on n’a pas besoin de boussole. La soirée avance et on se dit que ce ne serait pas mal de s’arrêter. On cherche un endroit plutôt horizontal car la tente est grande et niveler le terrain serait pénible outre qu’il va falloir creuser aussi notre « fosse à jambes ».

On plante le bivouac

Il n’a pas neigé depuis plusieurs jours, la neige est assez compacte, pas besoin de damer la surface. Afin d’orienter au mieux la tente (arrière au vent), je repère les sastrugis aux alentours ainsi que la direction du vent et ses variations. Cette technique n’est pas parfaite car il est déjà arrivé que le vent forcisse et change plusieurs fois de direction dans la nuit. Le vent faiblira en soirée et je ne construirai pas de mur de neige de protection (alea jacta est, s’il le faut je sortirai en faire un).

Tous les trois nous participons au montage de la tente. Ah, ces crochets, il faudra que je les améliore, c’est difficile de les mettre sans gants. La tente montée, Véronique s’affaire à creuser la fosse entre la chambre et l’abside où nous plaçons le matériel de cuisine. Cette fosse sert à mettre les jambes ; comme si on était assis sur un banc. Marc et moi la relayons, mais elle fait le gros du travail. Nous installons alors dans la tente tout notre matériel de bivouac : matelas, sac de couchage, affaires personnelles, matériel de cuisine et bouffe pour le soir et le petit-déjeuner. Je range toujours le fusil au même endroit, à droite de l’abside, crosse prête à être empoignée. Comme un gros fainéant, de l’extérieur de la tente je jette mes affaires dans la chambre ; je les rangerai après. Au final, nous plaçons nos pulkas en arc de cercle à l’arrière de la tente ; elles constituent déjà un petit mur de protection. Ah, pendant que j’y pense, ce soir il faut que je re-remplisse le bidon d’essence pour le réchaud.

Voilà, nous sommes installés pour un nouveau bivouac. Je m’assois au bord de la chambre, les jambes dans la fosse, restant quelques instants à ne rien faire, je ne pense pas, je suis bien. Je regarde Véronique et Marc qui en font plus ou moins autant, qui commencent à s’installer et se préparent un artic-irish-tea   ; pour moi ce sera un fond de whisky  . La porte est entre-ouverte et je regarde dehors. Dans la brume, je devine les reliefs bordant le glacier et je rêve de ce que sera demain. Thierry ayant fini l’installation de son bivouac, nous rejoint sous la tente ; papotages du soir.

Il fait faim ! Et c’est reparti pour un tour : couteau, blocs de neige, bouilloire, réchaud, allumettes, gamelle, cuillère, préparation de la bouffe. Le menu de ce soir : « magrets de canard-wasa-purée aux herbes et à la poudre de viande (merci croco)-abricots secs-noisettes-chocolat »... Burp !

Fosse Magrets de canard Un coup de gnole

Après avoir bavardé, glandouillé, on finira la soirée par une petite goutte de gnôle avant de se mettre dans les sacs de couchage.

Je regarde les cartes. Compte-tenu de ce que nous avons fait, j’envisage les futures étapes. Yes, on va se le faire le Newtotoppen. Je l’ai déjà gravi deux fois, mais j’en rêve encore. J’ai toujours dans la tête le spectacle de tous ces glaciers qui serpentent pour aller se jeter dans un fjord ou dans la mer, mon chouchou : l’Oslobreen.

Oslobreen

Il est presque 23 h, Véronique et Marc sont couchés et je vais en faire autant. Voilà, j’y suis, j’y suis bien. Nous sommes loin de la banquise et la présence d’un ours est fort peu probable. D’autres soirs, j’ai du mal à m’endormir en pensant au danger qu’il représente ...

Véronique Marc Thierry Pierre
Véronique (Vé) Marc (mad) Thierry (eraz) Pierre (ChP)



Le matériel


Pour ces trois semaines passées au Spitzberg, j’avais préparé différents matériels. Voici les liens :

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