- 27 mars 2024 -


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Jolie virée dans la forêt guyanaise

Jolie virée en forêt primaire de Guyane
Mars 2014

J’ai un ami, Trekkal, qui ne connaît pas du tout la Guyane, mais s’est fixé comme objectif de la traverser à pied d’est en ouest ; un parcours de l’ordre de 150 à 200 km ! J’ai deux autres amis, Cariacou, grand voyageur en pirogue dans ces régions et Mad, connaisseur des forêts primaires car il est chercheur en écologie de ces systèmes. Cariacou et Mad ont dissuadé Trekkal de tenter sa traversée sans y avoir mis les pieds au moins une fois et Mad lui a proposé de l’accompagner pour réaliser une mise en situation sur une quinzaine de jours. Moi, j’ai demandé à l’un et à l’autre s’ils étaient d’accord pour que je participe à cette virée. Ils ont dit oui, je les remercie de la confiance qu’ils m’ont accordée.

Le but de ce trek est de faire en une dizaine de jours l’aller-retour à pied, hors sentier, jusqu’à un inselberg situé à vol d’oiseau à une vingtaine de kilomètres au sud de Saül, petite bourgade d’une centaine d’habitants que l’on ne peut atteindre qu’en avion et sise au beau milieu de la forêt guyanaise.

Saul


Les préparatifs


Trekkal s’est entraîné physiquement en forêt de Fontainebleau et notamment sur le parcours des 25 bosses. Il a aussi acquis une grande connaissance livresque de l’environnement auquel il veut se confronter. Mad s’est coltiné toute la préparation de la nourriture et de la pharmacie ; ce n’est pas une mince affaire. Quand à moi, j’ai réalisé les cartes couvrant le parcours à l’aide de fonds IGN. Dans la foulée, je me suis confectionné un sac à dos étanche de 60-65 litres et ne pesant que 540 g.

Trekkal avait trouvé les coordonnées de Yvan, guide habitant dans les environs de Saül pouvant nous donner des informations utiles. Malheureusement, il était parti la veille de notre arrivée pour emmener en canoë trois personnes à l’inselberg en question, via la crique Limonade. Nous avons toutefois rencontré à Saül Stéphane qui travaille au Parc Régional et qui est aussi un excellent guide et connaisseur de cette région. Il nous a donné de bons conseils, rappelant qu’il est préférable de cheminer par les crêtes afin d’éviter la marche en dévers et les bords des criques qui sont souvent plus encombrés et parfois marécageux. Mais en gros, il a validé l’itinéraire que nous avions déterminé.

L’organisation sur le terrain

Le but de ce trek étant de préparer Trekkal à sa future expédition, c’est lui qui choisira et ouvrira le chemin, machette et boussole à la main. Mad lui donnera le strict minimum d’infos GPS de guidage. Moi, je suis et je contemple, mais je n’ai pas envie de rester inactif, je compte bien prendre la place de Trekkal un de ces jours. Souvent les décisions relatives à la progression, les choix des endroits par où passer et les lieux de bivouac se font collégialement.

Le trek

Je ne vais pas faire un récit chronologique mais plutôt me concentrer sur quelques points qui m’ont paru intéressants.

La veille de notre départ, nous avons prévenu les gendarmes et Stéphane de notre parcours et de sa durée. Nous avions une balise PLB (SARSAT) pour le cas où cela tournerait mal

Le cheminement par les crêtes ne présente pas que des avantages. Lorsqu’on est très chargé, c’est assez fatiguant et par conséquent, il est avantageux de couper par des dévers pour autant qu’ils ne soient pas trop prononcés. Un des avantages de la marche sous la canopée est que les lunettes de soleil et la crème de protection solaires sont inutiles. Par contre un élément qui semble vraiment indispensable à celui qui ouvre le chemin est une paire de gants. Elle a deux utilités. La première est d’éviter les ampoules à la main qui tient la machette et la seconde est de pouvoir déplacer de l’autre main toute sorte de branchages, lianes et épiphytes qui souvent sont pleins d’épines ; ces sales petits piquants qui vont se faire un plaisir de casser une fois plantés dans la main et qui sont potentiellement sources de mal blanc. A ce propos, la pharmacie doit être assez complète : antipaludéens, désinfectants, antalgiques, antibiotiques large spectre, anti-diarrhéique, pansements et stripping, seringue d’adrénaline pour certains cas graves.

Crique


Bien que pas totalement limpide, l’eau de la plupart des criques rencontrées était consommable telle quelle. Pour autant, certaines criques, passant en amont par des lieux fréquentés sont polluées, il faut alors soit utiliser un filtre à eau soit des pastilles purificatrices.

Devant nous, Trekkal ne ménage pas sa peine pour tailler, débarrasser le layon de toute embûche. Malgré cela, la marche reste assez pénible. En effet, la vie de la forêt primaire fait que le sol est jonché d’arbres morts, petits ou gros, voire énormes, vieux ou récents qu’il faut sans cesse franchir. Ajoutons à cela les diverses racines et autres lianes et épiphytes, fines ou plus résistantes dans lesquelles on se prend immanquablement les pieds. De plus, les feuilles mortes baignant dans une humidité permanente rendent très souvent le sol glissant et on commence à se dire qu’on ne va pas faire des dizaines de kilomètres dans la journée. D’ailleurs, Trekkal, tout trempé par la sueur et la rosée de la végétation qu’il déblaie se dit que s’il en fait une, ce sera déjà miraculeux !

Forêt


Il est bientôt midi et les estomacs commencent à gronder. On se pose et on attaque le jerkyau Wasa. Mad a eu la bonne idée d’ajouter à l’eau des poudres sucrées et aromatisées, c’est bien agréable. Quelques fruits secs en dessert, une petite pause - ou longue - et c’est reparti pour l’après-midi.

Nous sommes à la fin mars et c’est la petite saison sèche. Il ne pleut pas trop et la température sous la canopée n’est pas encore accablante, de l’ordre de 26 °C. A cette époque de l’année, la nuit est tombée à 18 h 30 et, ne connaissant pas le terrain où nous allons monter le bivouac, il est judicieux de s’arrêter aux alentours de 16 h, de préférence à côté d’une crique pour avoir de l’eau.

Nous dormons dans des hamacs pour ne pas être ennuyés par toutes les bébêtes qui traînent au sol et sous une moustiquaire pour éviter le désagrément de toutes celles qui piquent. Un tarp (une bâche, quoi) est installé au-dessus pour nous protéger de la pluie et des éventuelles petites branches qui pourraient tomber. Pour les grosses branches, voire les troncs qui pourraient s’affaler, il faut veiller à ce que l’endroit choisi en soit dégagé. Pas facile. Pour installer les hamacs, il faut trouver deux arbres distants de 4 à 6 mètres qui ne soient ni trop gros – un arbre de 1,5 m de diamètre va demander 5 mètres de cordes supplémentaires pour en faire le tour – ni trop petits (ou vieux ou faibles) pour qu’ils ne plient pas.

Hamac


Un soir, Trekkal en a choisi un qui paraissait bien menu. Mad le lui fait remarquer et lui a parié deux "ti-punchs" que ça va pas le faire. Trekkal installe quand même son hamac et monte dedans pour vérifier que ça tient. Ah, il faut retendre un peut les cordes. Nouvel essai. Je vais les retendre encore un peu. Le manège a duré trois ou quatre fois avant qu’il s’aperçoive qu’à chaque fois qu’il retendait ses cordes, l’arbre se couchait un peu plus ! Heureusement que Mad ne s’était pas fichu de lui car, à quelques minutes d’intervalle, la même mésaventure lui est arrivée : match nul deux ti-punchs à deux ti-punchs.

Bien, j’ai trouvé deux arbres répondant aux critères précédents. Il faut encore que l’espace entre ceux-ci ne soit pas encombré de végétation sinon, une séance de "machettage" va s’imposer. Détail qui peut avoir son importance : attention qu’il n’y ait pas une souche (anciennement ou fraîchement coupée) juste en-dessous du hamac car si l’on choit (ça m’est arrivé deux ou trois fois), on risque de se la prendre dans les reins, ce qui peut être très problématique.

Enfin, lorsqu’on s’installe au bord d’une crique, s’assurer qu’on ne va pas se trouver dans une zone inondée car l’intensité des pluies ainsi que l’étroitesse des vallées dans lesquelles elles coulent font qu’elles débordent facilement. Un matin, lors d’un bivouac près de la crique "Nouvelle France", son niveau était monté d’une cinquantaine de centimètres. Il en aurait fallu encore autant pour qu’on commence à avoir les pieds dans l’eau, mais c’était un avertissement … sans frais. En conséquence, ne pas oublier de mettre ses chaussures en haut d’un piquet et d’accrocher son sac à dos à des branches.

Un soir, alors que nous avions trouvé un endroit idéal, un singe atèlea considéré que cela représentait une violation de domicile. Alors que nous nous installions, il n’a pas cessé de crier : des cris rauques ou aiguës et jetait toutes les branches qu’il trouvait pour essayer de nous faire déguerpir. De guerre lasse, on ne l’a plus entendu de la soirée. Le lendemain matin, il a repris son cinéma ; il a eu gain de cause, nous partions.

 Sous la canopée, ce peut être le silence absolu mais ce peut aussi être de magnifiques concerts de singes hurleurs ou d’oiseaux. Dans certains cas, les cris semblent être des appels de vigies qui se propagent de loin en loin.

Lors de notre premier bivouac, nous sommes tombés sur une place "préinstallée", l’endroit, situé près d’une crique était dégagé, des branches étaient posées horizontalement entre les arbres de manière à étendre facilement les tarps. Super, sauf que cet endroit est un dépotoir. C’est un des lieux fréquentés par les orpailleurs brésiliens qui n’ont que faire du respect de l’environnement.

L’inselberg

Nous avions dormi la veille près d’une magnifique cascade sur la crique Richard et ce matin, c’est moi qui ouvre le chemin. C’est une grande première pour moi. Mes premiers coups de machette sont mal assurés ; pas la bonne force, pas le bon angle d’attaque, quoi couper et surtout, ne pas couper afin de rendre le passage aisé sans faire de dégâts. Et puis, il y a l’orientation. Le principe est simple, la réalisation plus ardue. Mad qui a le GPS me donne le cap à suivre (attention, dans cette région, la déclinaison est importante : -18 °) que je reporte sur ma boussole. Je me fixe un objectif, le plus visuel possible : un grand arbre situé à quelques dizaines de mètres. Le but est de ne pas le perdre de vue tout en taillant le chemin. Mais il est souvent préférable de contourner une difficulté de parcours que de tailler sans distinction, alors l’objectif est vu sous un autre angle s’il n’est pas caché par la végétation. Il m’arrive souvent de le perdre, alors, j’estime la dérive que j’ai faite et je reprends le cap en en tenant compte. Au final, je ne me débrouille pas trop mal, je ne m’éloigne pas trop du cap. Mais ce n’est pas de tout repos. Pour la première fois, je comprends ce que c’est qu’être trempé de sueur et de rosée.

Inselberg


En fin de matinée, nous atteignons la savane-roche, végétation au pied de l’inselberg. N’étant pas botaniste, je vois bien qu’elle est différente de la forêt, mais ne sais pas l’apprécier comme Mad. La roche, granitique, est particulièrement glissante due à un envahissement par certaines bactéries. De ce fait, Mad ne souhaite pas gravir l’inselberg et pense le contourner. C’est Trekkal qui a repris la machette et taille le chemin mais la végétation y est très dense (ce que nous confirmeront Yvan et Stéphane plus tard). Au travers d’elle Trekkal aperçoit l’inselberg et dit en avoir marre de tailler et s’oriente vers lui pour poursuivre le chemin. Nous suivons. Les abords n’étant trop pentus, on ne glisse pas trop, mais dès qu’elle s’accentue, ça devient vite patinoire. Il est midi et on pose les sacs au-dessus d’un bosquet. Trekkal est fasciné par l’inselberg et bien que Mad lui demande d’attendre un peu, , Trekkal se met à le gravir. C’est là qu’il faut se souvenir de ce que Stéphane nous avait dit : en chaussettes, ça ne glisse pas. Et c’est vrai. Mad et moi le suivons. Mad s’arrête à mi-pente, fatigué mais aussi inquiet de s’éloigner des sacs, je continue avec Trekkal jusqu’au sommet. C’est superbe. Depuis quelques jours nous ne voyions la canopée que par le dessous ; on la voit enfin par au dessus. Trekkal est émerveillé, il se promène de long en large sur la crête, je l’accompagne émerveillé aussi. Nous nous asseyons et contemplons, nous pourrions rester là des heures. Soudain, derrière nous, nous entendons : "bonjour", nous nous retournons, surpris, un homme les mains dans les poches et en tongs nous aborde :

- bonjour, je ne voulais pas vous effrayer, mais je suis aussi étonné que vous de rencontrer quelqu’un à cet endroit,
Trekkal lui dit tout haut ce que j’étais en train de penser :
- vous êtes Yvan,
- oui, dit-il, je pensais que vous étiez des gardes du parc,
- non, nous sommes des randonneurs,
- c’est extraordinaire, depuis vingt ans que je parcours la région, je n’ai jamais fait une telle rencontre en un tel endroit. Je bivouaque au pied de l’inselberg avec trois personnes que j’ai emmenées ici en canoë.
- Nous, nous sommes venus à pied, à travers la forêt. Nous avions essayé de vous contacter par mail pour obtenir des renseignements, mais a priori, vous n’avez pas reçu le message.

La conversation continue et Yvan nous invite à rejoindre son groupe à leur bivouac. Nous redescendons et rejoignons Mad, et voulant récupérer nos sacs, nous nous apercevons qu’on ne sait plus précisément où nous les avions posés. On passe un bon quart d’heure à les retrouver. Mad nous fait remarquer qu’on n’aurait pas dû les poser sans avoir pris un point GPS. Il avait raison.

Nous faisons connaissance du groupe, Yvan nous dit de nous installer à proximité de leur camp et nous montre une petite crique où prendre de l’eau et nous laver. Nous passerons une agréable soirée tous ensemble.

La petite saison sèche est sur sa fin et Mad craint que sur le chemin du retour les fortes pluies modifient profondément le parcours. Nous partons donc dès le lendemain, sans être retournés sur l’inselberg, ce que regrettera vraiment Trekkal pour qui ce lieu était vraiment le point d’orgue de ce trek.

Sur le retour

Lors du retour, Trekkal a été mal foutu lors d’un bivouac. Il a très mal dormi et le lendemain il n’était vraiment pas en forme. Par contre, moi, je pétais la santé. J’ai proposé de "layonner" toute la journée … dont acte. Cette fois, je me sens un peu plus assuré, mes coupes sont plus franches et bien que je perde souvent mon objectif, je garde assez bien le cap. Ça commence par une pinotière (un marécage) ; puis une centaine de mètres de dénivelé pour monter sur un plateau. Bizarrement, l’accès au plateau est assez dense et la progression n’est pas vraiment aisée ni rapide. Bien que trempé et suant, je n’ai ressenti qu’une seule fois le besoin de faire une pause, ça tombait bien, ça correspondait à l’heure du déjeuner.

Ce jour là, nous avons retrouvé en fin d’après-midi un grand layon tout tracé qui nous ramenait vers Saül. Nous en avons profité pour avancer. Le soir nous avons dormi le long d’une crique dans un bivouac dégagé et dépotoir comme le premier lors de l’aller.

Le lendemain, nous pensions que ce layon nous mènerait à pont Limo. Malheureusement de grosses pluies les deux derniers jours ont fait enfler les criques et nous nous sommes retrouvés confrontés à d’énormes marécages. Par deux fois nous avons modifié notre chemin pour pouvoir traverser la crique "Eaux claires". Celle-ci avait pratiquement enflé d’un mètre et pour l’atteindre, il a fallu patauger pendant deux à trois cents mètres. Heureusement, la crue étant récente, le sol n’avait pas encore été imbibé et il restait ferme sous les pas. Nous avions de l’eau jusqu’aux genoux et parfois à mi-cuisse.

Crue


Nous avons retrouvé le tronc sur lequel nous avions traversé cette crique à l’aller mais cette fois, il était complètement immergé. A chaque pas, il fallait tâter pour s’assurer que le pied portait bien sur le tronc. Nous nous maintenions en équilibre grâce à deux bâtons, un dans chaque main, que nous plantions sur le fond de la crique de chaque côté du tronc. Parfois, le bâton s’enfonçait un peu plus sous l’effort et menaçait notre équilibre.

Deux heures plus tard, nous sortions de la forêt à pont Limo. L’arbre qui avait servi à notre traversée était lui aussi partiellement immergé.

Yvan nous avait dit qu’il mettrait trois jours pour revenir. Nous avions mis aussi trois jours et j’ai dit à Trekkal et Mad d’attendre un peu, Peut-être aurons nous la chance de le voir arriver avec son groupe. Ce fut le cas.

Nous avons tous terminé la journée chez Yvan qui nous a invités à dîner et à dormir dans un espace de quelques hectares qu’il aménage et entretient (un petit paradis terrestre) à quelques kilomètres au sud de Saül. Soirée inoubliable en compagnie de son épouse et de deux de ses enfants.

NOTA : Ce trek n’est pas un exploit en soi. Pour autant, il nécessite un engagement total :


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